Rite de passage

20 novembre 2006 par - Audiovisuel

Lièvre : Mammifère rongeur qui ressemble au lapin et dont les pattes postérieures, plus longues que les pattes antérieures, lui permettent une course rapide. Chair comestible de cet animal. Civet de lièvre.
Quelle horreur ! Qui aurait l’idée de manger du lièvre ? Surtout celui qui nous occupe, qui nous préoccupe !

Vatanen : pilote de rallye finlandais devenu député européen en 1999 et réélu en 2004.
Vous n’y êtes pas, mais alors pas du tout !
Le Lièvre de Vatanen : roman finlandais des années 70. Il relate la vie du journaliste Vatanen qui, un soir, heurte en voiture un lièvre. L’homme décide de passer la nuit dans la forêt avec l’animal blessé. L’occasion est trop belle de faire le bilan de sa vie ratée. Il décide de laisser tomber sa vie d’avant : son ulcère à l’estomac, sa femme, son enfant, son métier, ses traites… et de vendre tout ce qu’il possède. Il part à l’aventure avec son lièvre et se perd dans le Grand Nord.
Maintenant, vous avez presque tous les éléments de cette fable écologique. Cependant, il vous manque le nom de l’auteur.
Arto Paasilinna : Paasilinna est né en Laponie le 20 avril 1942 alors que ses parents fuyaient en camion les Allemands. « J’étais un garçon des forêts, dit-il, travaillant la terre, le bois, la pêche, la chasse ».
Auteur d’une vingtaine de romans, figure emblématique de la littérature finlandaise, il a rencontré le public grâce à une Å“uvre originale, peuplée de personnages singuliers, et à son sens de l’humour. Il y a du Marcel Aymé dans le ton et du Jack Kerouac dans la manière, autour d’un seul et grand thème : la liberté.
Vous savez tout. Enfin, pas tout à fait. Il vous manque encore une donnée : Marc Rivière.
Marc Rivière : réalisateur français dont une des qualités est l’obstination. Il n’est pas Breton pour rien. Lorsque dans les années 90, il découvre Le Lièvre de Vatanen d’Arto Paasilinna, il sait que son prochain film sera l’adaptation de ce livre. Ce dont il ne se doute pas, c’est que cela va lui prendre plus d’une décennie pour arriver à ses fins.
Aujourd’hui, c’est chose faite. Le film sort le 27 décembre dans le circuit de distribution Gaumont, avec Christophe Lambert dans le rôle de Vatanen.
Après bien des errances hollywoodiennes, cet acteur doué revient de loin. Depuis To kill a Priest d’Agnieszka Holland, une histoire vieille de vingt ans, il n’a jamais été aussi bien dans un film…

Le scénario de Marc Rivière a conservé l’étrange poésie qui se dégage du livre, l’aspect sacré de la forêt, le respect que l’on doit à la nature, à ses silences et ses mystères. Il a su mettre en scène, au sens littéral du terme, un bestiaire fantastique, un ours mal léché, une pie voleuse, un aigle royal, un cerf impérial, impressionnant, presque irréel, comme l’esprit des morts auquel les habitants des bois croient.
Le réalisateur met également en situation des femmes et des hommes du bout du monde, des êtres étranges, piégés dans les grandes solitudes glacées du Nord, aveugles de la vraie vie ou victimes de la maladie des neiges, comme le père de Vatanen, ancien photographe qui, dans une scène brève et intense, caresse les « images » de son passé. La rencontre du père et du fils est bouleversante d’émotion. Il faut dire qu’elle est portée par le grand acteur québécois Rémy Girard qui a su nous faire pleurer dans Les Invasions barbares de Denys Arcand.
Étrange encore, presque inquiétante, cette baraque au-delà de laquelle le monde des vivants s’arrête. Elle est habitée par le dernier des humains que la solitude a rendu à moitié fou, le gardien de la « Frontière », celui qui doit prévenir de l’arrivée prochaine des hordes barbares, comme dans Le Désert des Tartares de Dino Buzzati.
Vatanen et son lièvre « héritent » de cet abri pour s’enfermer dans une solitude qui doit les aider à se reconstruire. Nous sommes à ce stade du récit au cœur de la fable philosophique de l’homme urbain, errant, déboussolé, qui a fini par perdre, dans les « forêts de pierre » des villes, ses repères avec la nature.
L’aventure picaresque de Vatanen, au sens où Cervantès l’entendait, au fur et à mesure qu’il s’enfonce dans les bois comme au fond de lui-même, devient âpre et parfois grotesque. Il croise sur sa route des êtres ignobles, qui rêvent de voir le lièvre en civet, ou des créatures délirantes, qui le convainquent de poursuivre sa quête intérieure. Il y a du Don Quichotte chez cet homme-là.
Vous l’aurez compris, Le Lièvre de Vatanen n’est pas un film comme les autres. Il existe par la volonté farouche d’un auteur qui s’est battu bec et ongles pour le faire aboutir. Il est une perle nacrée dans la coquille du cinéma français.
Lorsque je vous aurais dit que la musique originale est de Goran Bregovic et que les paroles de la chanson et la voix sur le générique de fin sont de Bénabar, vous n’aurez plus le droit de « poser un lapin au Lièvre », vous irez voir le film en salles à partir du 27 décembre.
Michel Sibra
Administrateur télévision

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