Jérusalem : journal de bord

14 septembre 2009 par - Spectacle vivant

Jérusalem, mercredi 24 juin 2009
Début d’un voyage de repérage : nous préparons notre venue avec les Padox en septembre octobre prochain au Festival « Jérusalem dans tous ses états » organisé par François Abou Salem , le Théâtre El Akawati, et particulièrement Olivia Magnan, qui depuis le début a pris en charge tous les contacts, la production, et qui nous servira de guide précieux avec son collègue Shadi pendant tout le séjour.
L’immersion est immédiate, dès Roissy : la sécurité pour Israël et pour les USA est extrême, fouille bien sur, mais aussi détecteur d’explosif sur les mains. Et encore, nous voyageons par Air France. Ce serait pire par El AL.
L’arrivée à Tel-Aviv est plus calme, nous retrouvons Olivia. Mais dès notre arrivée nous apprenons que notre passage à Gaza, organisé à la demande  du  directeur du CCF, n’aura pas lieu. Nous devions y animer un atelier marionnette. Mais cela n’intéresse pas les Israéliens, ils accordent les autorisations aux délégations politiques ou diplomatiques, aux vedettes genre Carole Bouquet. Mais ils nous ont refusé l’autorisation d’entrer… Alors nous allons à Ramallah rencontrer François Abou Salem qui répète un opéra pour la fondation Barenboïm.
Passage au Check Point, on longe le mur, l’ami palestinien qui nous conduit raconte l’absurde de la situation, par exemple un membre de sa famille qui a son appartement coupé en deux.
Ramallah est calme, mais dans la conversation nous percevons tout de suite la tension qui règne, l’humiliation permanente, pour un peuple qui ne voit pas d’issue.
La colonisation continue de plus belle, les Israéliens construisent même un tramway qui longe les murs de la vieille ville, quelle horreur, pour aller du centre de Jérusalem vers les nouvelles colonies proches de Ramallah, comme si cette situation était irréversible, ou plus exactement, pour la rendre irréversible.

Jeudi 25 juin 2009
Ce repérage se révèle très riche, instructif, et se transforme en un beau projet. La rencontre avec Gaétan Pellan, Directeur du CCF de Gaza, et Patrick Richard, Attaché Culturel et directeur du CCF de Jérusalem est un moment fructueux et chaleureux. Dommage, Gaétan termine ses trois ans à Gaza, on le retrouvera à Oran…
Ils ont un courage énorme face aux tracasseries de tous ordres. À Gaza, Gaétan n’annonce plus rien, il attend que les artistes soient certains de passer la frontière, donc le dernier moment, pour annoncer leur présence par SMS a son public.
Ensuite, nous explorons la vieille ville avec Olivia et Shadi. Visite d’un ancien Hammam souterrain, superbe, avec ses fontaines, ses bassins, ses salles de repos, dont j’aimerais faire le lieu d’une sorte d’exposition vivante, d’installation de Padox. Mais ce Hammam est proche de l’esplanade des mosquées, et , en surface, un colon s’est saisi d’une maison, a installé des barbelés et un drapeau israélien, et commence à creuser. C’est la bataille du ciment. S’il réussit à s’infiltrer, il occupera le Hammam, et les palestiniens qui ont transformé ce lieu en centre culturel, n’auront aucun recours juridique. La démocratie est bafouée, la justice inexistante.
Même chose un peu plus loin, à Silwan, le Siloé de la Bible, ou, toujours en sous-sol, les Israéliens ont découvert les traces de la ville antique du roi David. Alors ils creusent, ils creusent, au mépris de toutes les règles archéologiques, négligeant et supprimant les couches supérieures, et le terrain de Siloé devient un vrai gruyère : déjà deux écoles se sont effondrées, écoles palestiniennes cela va sans dire. La vallée est truffée de caméras de surveillance. Alors, avec les Padox, nous irons, avec le concours d’association palestinienne de défense, nous irons braver les colons qui armés jusqu’aux dents, gardent le musée du Roi David. Nous prévoyons une manifestation de Padox pacifiste : les Padox se coucheront, colleront l’oreille au sol pour écouter la rumeur du sous-sol et l’avancée des taupes.
Et puis voici le mur, le fameux mur de la honte, qui coupe les routes, sépare les voisins, coupe la ville de l’université islamiste, oblige les étudiants qui habitent à côté à faire plusieurs kilomètres et à patienter au check point.
Avec les Padox, nous essaierons 10 façons de tenter de franchir le mur, avant de sortir les mouchoirs. Le Mur des Larmes, contrepoint du mur des lamentations.

Vendredi 26 juin 2009
Outre le Festival « Jérusalem dans tous ses états », nous devrions participer au Festival de Saint Jean d’Acre, Akko en hébreu, qui aura lieu au même moment. Nous profitons de notre présence à Jérusalem pour faire également un repérage à Akko, après une longue route en voiture de 3 heures, pour aller au nord d’Israël, près de la frontière du Liban. Ce sera un festival de rue traditionnel, le plus important de cette région, qui regroupe 200.000 spectateurs et des troupes de tous les coins du monde. Rencontre chaleureuse avec la responsable de la partie « rue » de ce festival théâtral, Sigalit, et nous en profitons pour visiter cette cité superbe, la ville forte des croisés, construite au Xe siècle, rebâtie par Saladin, lieu d’une défaite de Bonaparte. Les murailles des croisées, leur souterrain, sont les principaux lieux de visite. Mais tous les musées sont fermés, c’est vendredi, le shabbat commence vendredi après midi et tout est fermé jusqu’à samedi soir.
La traversée de la campagne et des villes israéliennes, Tel-Aviv, Haïfa, Netanya, fait apparaître la différence incroyable, le fossé entre les territoires palestiniens et le niveau de vie israélien.
Retour à Jérusalem, plongée en soirée dans la vieille ville, où les juifs orthodoxes chantent avec ostentation et provocation devant les marchands palestiniens des souks qui ferment boutique, ramassent les poubelles et chargent les marchandises. Un énorme rassemblement d’hommes coiffés de noir, bouclettes et barbes frisées, à la porte de Jaffa, a des allures assez effrayantes.
Plus que jamais le monothéisme apparaît comme un terrain d’affrontement et de violence, comparé au polythéisme grec, mésopotamien ou égyptien, image de tolérance, d’intégration des dieux de l’autre, d’accueil de l’étranger. La violence et le sacré.
En route vers Akko, nous longeons le mur de Ramallah.  Image paradoxale de la terre sainte !

Samedi 27 juin 2009
Le repérage continue, à la recherche de bons lieux de jeu pour les Padox.Il y a, bien entendu, les deux gares routières palestiniennes, dont les bus mènent l’une vers le nord, la Galilée, l’autre vers l’Est, et entre autres Bethléem. Ce sont des lieux de vie, des marchés, a deux pas de la porte de Damas.
On voit aussi la rue Salah El Din (Saladin), principale artère de Jérusalem Est, avec de bons lieux de jeu particulièrement à la porte d’Hérode, entrée de la vieille Ville, devant la police et la poste. Dans cette même rue, le Centre Culturel Français servira de vestiaire, et aussi de lieu de jeu avec son jardin et ses grilles.
Le Check Point pour aller à Ramallah est aussi un lieu important, il pourrait être intéressant, sans narguer les soldats israéliens, de se présenter avec des papiers de Padoxie et d’essayer de passer, de rendre dérisoire cette « vrai fausse frontière », tracasserie quotidienne pour de nombreux palestiniens.
Nous visitons l’YMCA, lieu de stage, de formation, où nous ferons le stage Padox les 3 premiers jours, avant de déménager souvent de lieu en lieu.
Olivia nous fait visiter une banlieue de Jérusalem, entièrement palestinienne. Quel scandale de saleté de mauvais entretien des routes, quel contraste avec Jérusalem Ouest. La municipalité ne ramasse pas les poubelles, et les palestiniens sont obligés, pour les évacuer, de mettre le feu. Pollution assurée. Et les plastiques s’envolent. Nous envisageons une opération propreté dans un champ transformé en déport d’ordure. Ce faubourg, c’est Beth Hanina.
À côté, autre banlieue, Shu’afat, est traversée par le tramway qui conduira les colons dans la colonie toute proche, ce tramway est en travaux…Les Padox y interviendront pour « faire avancer les travaux » à leur façon.
C’est là que nous visitons le Centre de rencontre des Roms : cette communauté est là depuis très longtemps, mais vit difficilement, et l’animatrice du centre, une femme débordante d’activité, dirige des ateliers de couture, de cuisine, de bijoux, vend les résultats des travaux, et nous assure une participation de stagiaires Roms, exclus parmi les exclus.
Enfin, dernière rencontre de la journée, Amal, une belle femme Palestinienne aux cheveux gris, musicienne, très impliquée dans la vie associative, qui nous conduit dans un dédale de ruelles de la vieille ville dans un lieu contre les remparts ou les palestiniens animent un club de jeunes, sport et culture, toute l’année. Là encore, nous aurons des stagiaires Padox. Chaque fois il faut expliquer le projet, et le DVD que nous avons emporté aide à convaincre nos interlocuteurs.

Dimanche 28 juin 2009

Aujourd’hui, pas de rendez vous organisés par l’équipe du festival, nous en profitons pour sillonner la vieille ville, visiter le Saint Sépulcre et le couvent Copte mitoyen, souvenir de notre passage à Jérusalem il y a 20 ans dans un festival de marionnette israélien au cours duquel nous avions invité notre ami François Abou Salem, qui dirigeait déjà le théâtre palestinien El Hakawati Cela nous avait valu un véritable boycott des organisateurs et artistes israéliens… C’était au début de la première Intifada.
L’expression de Jeanne au Saint Sépulcre est juste : c’est la tour de Babel, le lieu est partagé entre les orthodoxes grecs, les Arméniens, les franciscains catholiques et les coptes, avec , paraît-il, des batailles de territoire mémorables.Les pèlerins chantent , une messe orthodoxe se dit dans le chœur, une messe arménienne dans une chapelle adjacente, avec un jeu de main superbe du prêtre qui les agite en papillons au moment de la consécration, des fidèles philippins en groupe, avec leurs foulards jaunes, tombent en pamoison sur la pierre de l’onction, il n’y a personne dans la chapelle souterraine construite par les croisés,et l’arrière du chœur est plein de grandes échelles en bois , pour sans doute décrocher je ne sais quels larrons au milieu des croix portées par des pèlerins  qui arrivent régulièrement après avoir suivi le chemin de la Via Dolorosa.
Les coptes ne chantent pas, dommage, il y a 20 ans un vieux jésuite pendant notre tournée en Egypte m’avait expliqué que la musique des coptes était directement issue de la musique des pharaons.
Déjeuner avec François qui nous raconte son opéra avec la fondation de Barenboïm à Ramallah, et aussi son adaptation d’Ubu, très intéressante, dans le décor d’une boucherie des souks, le père Ubu, la mère Ubu et le fils manipulant de la viande tout en fomentant leurs crimes et le renversement du roi de Pologne, une transposition très forte que nous verrons en septembre à Saint Jean d’Acre.
L’après-midi, dans les souks, un jeune marchand bavarde avec nous, et apprenant notre projet de septembre, se met à nous parler tout bas, me demande naïvement si nous sommes pour les palestiniens, et, heureux de notre engagement auprès de ce Festival, m’offre un Keffieh noir et blanc, me le met sur la tête, et nous continuons notre visite.
Un peu plus loin un bijoutier nous interpelle, ce signe du keffieh lui donne envie de parler, et il nous invite à boire le thé dans sa boutique, à l’abri des micros israéliens dont la vieille ville est truffée, et nous présente un de ses amis, un diplomate Slovène. Nous sentons dans tous ces contacts une chaleur, une qualité d’accueil, rares. François nous dit qu’il a parlé des Padox aux jeunes de son atelier qu’il a animé ce matin dans la Vieille Ville, et la simple évocation du travail avec les Padox dans les rues de Jérusalem fait briller les yeux.

Lundi 29 juin 2009
Jérusalem est une ville terriblement attachante, et le fait de savoir qu’on revient en septembre est une très belle perspective. La dernière journée est consacrée a une série de prises de contact, avec la directrice du centre où nous travaillerons, avec un club pour jeunes palestiniens, un autre, près de la porte de Lions, et surtout une exploration sérieuse du Check Point de la route vers Ramallah. Nous l’avions passé en voiture le premier soir, mais cette fois nous le passons à pied. Vers Ramallah, on entre sans problème. Pour sortir et aller à Jérusalem, il faut montrer patte blanche. Au milieu de l’après-midi, on attend un peu, mais on imagine les passages des travailleurs le matin, les longues files, des tourniquets, des barreaux, des barbelés, une ambiance de prison, des machines pour scruter les documents, pour scruter les physionomies, une violence dans la relation du supérieur à l’opprimé. Rien que là, on comprend la révolte, les pierres, la tension permanente.
Alors, décision, nous irons en Padox passer le Check-Point.
Un tour à la porte de Jaffa, lieu superbe et espace de jeu privilégié pour nos Padox, ou nous toucherons tout le monde, Israéliens, palestiniens et touristes.
Notre repérage se termine, nous rentrons avec des images plein les yeux, des idées plein la tête et le sentiment que nous pourrons faire œuvre utile, et donner du sens à notre travail, ce qui est finalement l’essentiel.

Dominique Houdart

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