Philippe Noiret

27 novembre 2006 par - Audiovisuel

C’était un ami, un frère, un père. Je lui dois tout. Et ce soir, accablé par le chagrin, je ne sais pas comment parler de lui. J’ai d’abord envie de crier ma reconnaissance. C’est lui, sa fidélité à la parole donnée, son sens de l’honneur qui m’avait permis de tourner L’HORLOGER DE SAINT PAUL  alors que ce scénario avait été refusé par pratiquement tous les producteurs et distributeurs de Paris. On s’était fait jeter, humilier pendant plus de 18 mois  et il était resté à mes côtés, n’était jamais revenu sur son engagement. Pourtant je n’avais rien tourné à l’époque et s’il avait jeté l’éponge je ne lui en aurai pas voulu.
Et puis un après midi, pendant qu’on tournait au Parc de la Tête d’Or, il m’a dit : « c’est curieux, je fais beaucoup de premiers films et jamais de seconds ». Et je lui ai répondu : « combien tu paries, Philippe, que tu fais mon second ».
C’était QUE LA FETE COMMENCE.
Et on ne s’est plus quitté. On a tout partagé, nos passions, nos fous rires, nos angoisses, nos colères, nos admirations. On était deux provinciaux maladroits émotionnellement (moi plus que lui), curieux, ouverts. On savait communiquer de manière oblique par des allusions, des anecdotes, par des regards. Quand à la fin d’une prise, je disais « coupez », il jetait un coup d’oeil dans ma direction et, avant que j’ai pu donner mon avis, lançait : « Tonton, on en refait une autre ».
Il faisait tellement partie de ma vie que je lui montrais les scénarios, les premiers montages même des films où il ne jouait pas. J’avais besoin de son regard, de son amitié. Comme de celle de Claude Sautet.
Ce n’était pas un acteur égoïste. Je l’ai vu pétri d’admiration pour Michel Galabru dans Le Juge et l’Assassin, pour Isabelle Huppert, Eddy Mitchell dans COUP DE TORCHON, pour Jean Rochefort dans la PORTEUSE DE PAIN, pour François Perrot ou Sabine Azema dans LA VIE ET RIEN D’AUTRE. Pour Claude Rich.
Et pour Jean Vilar et Gérard Philippe. L’entendre parler de cette époque vous réchauffait. Il aimait aimer et avait l’admiration contagieuse. On avait l’impression qu’il y trouvait quelque chose de réconfortant. Nous nous sommes beaucoup parlés à travers nos admirations. Pour Gary Cooper que nous aurions tous les deux voulu connaître, pour Hitchcock, Fred Astaire, Mario Monicelli, Marcello Mastroianni ou Marco Ferreri.
Il m’a appris tant de choses, fait découvrir des auteurs, des peintres, un certain art de vivre fait d’élégance et de discrétion. Il m’a donné le goût des acteurs et m’a montré qu’on pouvait être exigeant, passionné en souriant, avec légèreté.
Il avait cette extraordinaire politesse qui consistait à minimiser les difficultés, les efforts, le travail qu’il avait accompli. Il prétendait qu’il ne savait pas quelle séquence on allait tourner, qu’il devait aller la lire alors qu’il la connaissait au rasoir. Cette politesse et cette pudeur. Pas de cirque, pas de numéro pour se concentrer. Comme son ami Mastroianni, il n’en avait pas besoin. Il se nourrissait de la chaleur d’un tournage, d’une équipe, se mêlait aux techniciens, regardait, apprenait. Ma société de production, Little Bear, a produit ses derniers films , PERE ET FILS et EDY, et mon associé Frédéric Bourboulon raconte  que pendant le tournage du premier, sur une petite route paumée, à l’écart du plateau, se croyant seul, Philippe, levant les bras au ciel, s’était mis à hurler : « ce que je suis content de tourner!! »… il avait ensuite surpris le regard de Fred…et souri un peu gêné…  
J’ai partagé ses engagements, ses quêtes. J’étais à coté de lui, à Verdun, quand il essayait de comprendre durant le tournage de LA VIE ET RIEN D’AUTRE ce qu’avait vécu son père, quand il marchait dans ses pas. Il avait épousé mon combat pour faire ce film, n’avait pas hésité, tout comme Sabine Azema, à mettre en participation la moitié de son salaire. Et c’est le film qu’il choisit quand le Festival de Cannes voulut lui rendre hommage. C’est qu’il semblait ne faire qu’un avec les colères, les engagements, les fêlures du commandant Dellaplane, cet officier profondément républicain (« le sénateur de Courtil a de la République, une conception effarante ». Cette phrase écrite par Jean Cosmos me fait chaque fois passer des frissons), cet homme de l’ancien temps, 1913, qui écrit à la femme qu’il aime : « Je vais commencer à vous attendre. Je vous attendrai mais pas plus de cent ans, mettons cent un »
Maintenant c’est moi qui vais commencer à attendre. Est ce que je tiendrai 100 ans ?
 

Bertrand Tavernier,
Administrateur Cinéma

Continuez votre lecture avec



Commentaires (1)

 

  1. Tietie007 dit :

    Noiret est pour moi, un peu comme un oncle, un colosse bonhomme que j’ai toujours connu un peu âgé, un peu comme John Wayne !

Laisser un commentaire