Identité et spécificité de l’écriture pour la Rue

9 novembre 2009 par - Arts de la rue

Cette réflexion analyse et prolonge les débats organisés par la SACD et la Fédération des Arts de la rue le 23 octobre 2009, sur le thème « Quelles aides pour les arts de la rue et pour quels lieux ?».
Il est utile de questionner les origines d’un art pour en percevoir l’identité et la spécificité. Dans le cas des arts de la rue, l’origine est double. Origine religieuse dans les Dionysies, processions accompagnées de chants et de musique, chœurs de satyres et de bacchantes, en l’honneur de Dionysos en Grèce, Bacchus chez les Romains.
L’autre origine, peut-être plus éclairante en ce qui concerne l’écriture, est liée à la création des villes, dans l’Antiquité ou au Moyen–Âge. Peu de villes sont issues d’une volonté précise, d’un marquage au sol comme la Rome de Romulus et Remus.
Les villes sont nées, pour leur grande majorité, du carrefour et de la foire. Au croisement des grands axes de circulation, les commerçants itinérants créaient des rendez-vous réguliers, et instauraient des foires, des lieux de commerce dans le sens premier du terme, et petit à petit, autour de ces carrefours, des villes se sont bâties. Ces lieux de rencontre étaient très naturellement des lieux de jeu, de spectacle, de musique. L’art de la rue est l’art premier des villes en devenir. Et tout naturellement, de ces deux origines, religieuse et commerce entre les hommes, découlent l’identité et la spécificité des arts de la rue.

Dès l’origine, toutes les disciplines artistiques sont convoquées, parole, danse, musique, art plastique, mime, masque, art du mouvement et de la performance physique, harangue…

Dès l’origine cet art est fondé sur la rencontre plus ou moins fortuite avec le public.

Dès l’origine, la nécessité d’attirer, de convaincre, et d’échanger, a été privilégiée. Surtout pas l’art pour l’art, mais l’art pour la rencontre, le dialogue, l’émotion.

Dès l’origine, au moins dans la partie laïque de ces origines, la rue fut le lieu d’une expression politique. Notre grand ancêtre c’est le colporteur, qui utilisait tous les moyens artistiques à sa disposition pour vendre objets, livres ou images, mais aussi pour transmettre et diffuser les idées politiques, les colporter. On sait le rôle qu’il a joué dans l’élaboration des cahiers de doléances, ferment de la Révolution Française.

L’identité des arts de la rue, c’est donc aussi la parole, mais pas dans le sens verbal du terme. Plus dans le sens de témoignage, de présence, et aussi de miroir d’une société.
Je me souviens que lorsque sortit le film « Trafic » de Jacques Tati dans les années 60, des publicistes inventifs, en guise d’affiche sur la façade d’un cinéma des Champs-Élysées, avaient installé un gigantesque miroir qui reflétait la circulation de cette avenue. Et le trafic urbain, tout d’un coup, était mis en perspective, en abîme, il se théâtralisait. La parole devenait visuelle, métaphorique, symbolique.
Cet effet de miroir se double d’une adaptabilité tout à fait caractéristique, adaptabilité au lieu, à l’environnement, au public, à la météo.

L’art de la rue est donc constitutif de l’écriture de la ville, de ses rapports humains, sociaux et politiques.
Jusqu’au jour où le pouvoir s’installe et capte la parole libre, l’enferme dans des règles et des contraintes. C’est toute la question de l’écriture et du pouvoir. L’écriture pour l’espace public est ouverture, pluridisciplinaire et libertaire. Le pouvoir contraint l’espace public, mais pas uniquement le pouvoir : l’espace public est, selon la très éclairante expression de Pascal Le Brun-Cordier, le terrain de la « guerre des récits. Il s’agit donc de chercher le moyen d’exister autrement dans la rue, trouver de nouveaux cadres de récit.
C’est toute la recherche de Francis Peduzzi, directeur du Channel, Scène Nationale de Calais, qui pense son action et ses choix comme un « récit » et agit sur l’espace public en passant commande, en acceptant la trahison de la commande.

L’espace public est de plus en plus confisqué par les tutelles, les arts de la rue n’ont droit de cité qu’à temps fixe, en lieu fixe, en rendez vous organisés et annoncés. Et ils perdent ainsi leur saveur, leur spontanéité, leur raison d’être.

L’auteur, la Compagnie, l’artiste, sont ainsi plus ou moins conditionnés par les lois du marché, par une demande qui, sans faire de la censure, évolue vers une démocratisation culturelle plus que vers une véritable démocratie culturelle.

L’espace public ne devrait pas être un lieu de spectacle comme un autre, un lieu pour poser des spectacles, mais un lieu porteur de création à sa mesure, à sa démesure. L’artefact n’a pas vraiment sa place dans la rue. L’innovation doit avant tout prendre en compte tous les paramètres, population, urbanisme, architecture, et l’artiste doit au milieu de tout cela être le médiateur, le catalyseur, l’orchestrateur de tous ces instruments.

L’aide, la subvention, la bourse en direction des auteurs, doit aller dans ce sens. Spécificité, innovation, et pas uniquement dans les grands rendez-vous habituels, indispensables mais insuffisants, qu’il ne faut pas négliger mais qui ne sont pas le but unique et ultime… Comme le proclame André Gintzburger, « l’intérêt du théâtre de rue c’est qu’il surgisse là où on ne l’attend pas ». Mais dans ce cas, qui paiera la production et les salariés ?
Cela nous renvoie au thème de cette journée de réflexion, « quelles aides et pour quels lieux ? »
C’est tout le sens de l’évolution du dispositif d’aide de la SACD « Auteurs d’espace public »  qui entend jouer un rôle incitatif, d’aide au surgissement d’auteurs voués à cet espace et à cette prise en compte du « récit ».

Mais, comme le fait très justement remarquer Ema Drouin, si on veut penser espace public, il faut penser public partenaire. Si on veut aller dans l’espace public, il faut échapper à l’espace politique contraignant et contraint.
Mai 68, le Printemps de Prague, la révolution des Œillets, ont vu surgir des auteurs, des poètes, des plasticiens. La rue était en effervescence, en création. Hors norme, hors institution.
L’institution, l’Etat, les Collectivités territoriales, devraient être au service du public, et pas le contraire. Mais le Ministère interrompt les Entretiens de Valois, nous renvoie au dialogue avec les collectivités territoriales qui sont déjà exsangues, de Charybde en Sylla…
Faut-il attendre que la manne se tarisse totalement pour que le public et les artistes se prennent collectivement en charge, comme le font de nombreuses associations dans le domaine humanitaire, écologique, économique ?La taxe Tobin, les aides individuelles dégrevées d’impôts, le mécénat du public, sont des pistes qui permettent d’ouvrir l’espace public au jeu, à la poésie, à la création, à l’invention du récit.

Ces réflexions et bien d’autres peuvent alimenter les débats d’une association d’auteurs pour l’espace public qui se constituera en janvier 2010

Dominique Houdart

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