Festival CIRCA à Auch 2011 – Lettre ouverte

6 février 2012 par - Arts du cirque

par Jérôme Thomas, administrateur Arts du cirque

Je souhaitais participer, dans le cadre de ma mission d’administrateur SACD pour le cirque, au festival CIRCA à Auch 2010 et 2011. Après le bilan dressé sur le site de Télérama par Emmanuelle Bouchez et pour participer à la réflexion, j’ai eu envie de donner mon point de vue en retour, sur mes 5 jours et nuits de festival, et le croisement de tous ces spectacles présentés durant cette semaine ensoleillée d’octobre.

Nous avons de la chance que la France soit dotée d’un festival comme CIRCA.
CIRCA est la capitale annuelle de ceux qui ont pour passion les arts de la piste et les artistes du cirque !
C’est un rendez-vous important pour les équipes circassiennes, venues de différents horizons artistiques et géographiques.
Ces compagnies confrontent leur esthétique singulière et leur vision du monde.
Ces spectacles nombreux qui sont proposés par le festival, tout au long de la semaine, viennent nous questionner sur nous-mêmes en premier lieu, nous spectateurs, et nous font nous ébahir devant des ouvrages artistiques réussis. L’enjeu d’un festival par essence.
Le festival est un carrefour pour le questionnement de nos écritures contemporaines du cirque, et c’est cette énergie magnifique que propose CIRCA. Je pense à ce remarquable spectacle-dîner des Cheptel Aleïkoum, intitulé Le Repas. Rare, unique et tout à la fois ancien !
Je pense que c’est l’honnêteté  des propositions artistiques qui fait aujourd’hui la qualité d’un festival.
Ce n’est plus trop l’existence des spectacles, nous n’en manquons pas. Plutôt l’idée de faire un voyage avec l’artiste. Je pense à Kitsou Dubois et Marie-Anne Michel par exemple, de par l’exigence de leur proposition.

À CIRCA, les spectateurs, les professionnels et les élèves des écoles de cirque, les jeunes du spectacle vivant, se fondent, créant une foule, un public festivalier, partageant la même passion et s’adonnant avec innocence à la quête de l’instant de grâce, heureux d’être bousculés par un événement artistique et poétique. Déception pour certains, enthousiasme pour d’autres.
Il est par contre surprenant de voir une telle économie à deux vitesses dans le paysage du cirque actuel. A l’image de notre société ? D’un côté, une approche « arte povera », de l’autre, une démesure de moyens techniques dans de grands chapiteaux.

Ma première remarque concerne l’identité du festival, qui est à mon sens unique. CIRCA n’a pas ce que l’on nomme une « ligne artistique », c’est-à-dire un regard esthétique sur les propositions artistiques. Ce que l’on pourrait aisément critiquer comme un manque. Evidemment, certains spectacles ne sont tout simplement pas prêts ou ne sont, banalement, pas intéressants.
Le festival a l’intelligence de prendre en compte l’actualité des créations en cours dans le paysage français et européen.
C’est une chance certaine pour les compagnies en création d’avoir une possibilité d’engagement, une fenêtre offerte pour l’œuvre et le public. C’est donner une chance à chacun, et c’est plutôt bien.
C’est  à mon sens un espoir de savoir que le festival CIRCA est ouvert à toutes les sortes de propositions artistiques.
Mais pour qu’il ne soit pas critiqué d’une manière un peu cavalière comme étant un festival « fourre-tout », il doit redoubler d’efforts pour établir des bibles précises accompagnant les équipes. La bible est la généalogie de la Cie, elle rappelle son parcours, quels artistes elle a eu en distribution, et répond à la question récurrente du « Où allez vous ? ».
La présence de Christian Lucas comme médiateur des équipes et des publics donne l’exemple, mais je pense que cela ne suffit pas à combler le manque.
Je pense très important de ne pas perdre le fil ce qui unit les équipes entre elles. Tel artiste qui joue tout la fois avec telle Cie et telle autre ! Un peu comme en musique. Michel Portal qui joue avec Roland Auzet dans son projet et Roland Auzet qui joue avec le trio de Michel Portal. Les connexions font la richesse et le sens de notre répertoire.

Ma deuxième remarque se rapporte à nos écoles de cirque.
Les écoles de cirque se retrouvent à CIRCA, et partagent leur vision, leurs techniques.
Déjà certains spectacles présentés lors des rencontres d’écoles sont des petits bijoux. Par exemple Bestioles d’Anna Rodriguez de l’Académie Fratellini. Une grande performance : celle de ne plus voir un danseur qui fait de l’acrobatie, ni un acrobate qui danse, mais des hybrides d’aujourd’hui, symbioses des pratiques. Inégalable !
C’est une prise de conscience que d’identifier déjà ce qui est plus grand que nous, une surprise que de voir naître des évènements artistiques là où on ne les attend pas. Bestioles en fait partie !

Ma troisième remarque, c’est qu’un festival est comme une rencontre d’œnologues pour leur dégustation annuelle. Il y a des années fructueuses et d’autres moins. Le soleil n’est pas toujours au zénith et les grands crus, pas toujours ce qu’on attend d’eux. Mais de considérer que les œuvres majeures sont la norme, ce n’est pas « normal »!
La « normalité », ce serait à mon sens un bon spectacle. Et c’est déjà mettre la barre haut !
C’est rappeler à chacun que l’art n’est pas un dû, mais un don !

Quatrième remarque : il n’est pas si fréquent qu’un festival réunisse autant de professionnels autour d’une table comme cela a été le cas au Conseil Général du Gers, réunion large et vaste de notre cirque d’aujourd’hui, une sorte d’« ONU du cirque » avec ses territoires, ses pays et ses régions, ses cultures et ses langues.

En conclusion, la question de savoir  « Quel cirque ? » n’est plus d’actualité.
La réforme enclenchée en juin dernier à la SACD par les auteurs des Arts du Cirque sur le nouvel éclairage a été menée à bien.
La notion de transversalité des pratiques artistiques, « danse vidéo cirque théâtre » et « vidéo théâtre danse cirque » par formule de mots clefs, à été tout simplement replacée au sein du répertoire cirque, plutôt qu’au-delà des répertoires.
La refonte des disciplines au sein de la SACD est en train de se mettre en place pour l’ensemble des répertoires, selon l’effet domino.
Nous parlons désormais des registres du répertoire cirque.
Et c’est bien ainsi que nous devons parler de nos arts, pour saisir la portée imaginative et créative de notre cirque d’aujourd’hui.

CIRCA devient pôle national des Arts du cirque, et emménagera au Centre d’Innovation et de Recherche Circassien (CIRC) à Auch à l’automne 2012. Missions de soutien à la création, d’organisation du Festival du cirque actuel et de programmation de la saison culturelle pluridisciplinaire.
 
Jérôme Thomas
Deux hommes qui jonglaient dans leur tête.
Théâtre Vidy Lausanne-Suisse, le 25 novembre 2011.

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