Jean Renoir, la biographie

1 octobre 2012 par - Divers

par Bertrand Tavernier, ancien administrateur cinéma

Disons le simplement, le RENOIR de Pascal Mérigeau est sinon la meilleure biographie critique écrite sur un cinéaste, du moins l’une des deux ou trois meilleures. Qui évite tous les pièges de certains ouvrages américains qui sacrifient l’esthétique des films, leur force artistique, bref l’analyse critique à des détails biographiques, des ragots intimes le plus souvent haineux et rances. Welles, Losey ont été les victimes de ces approches. Rien de tel ici. Les analyses de Pascal Mérigeau sont concises, denses, passionnées. Il débusque des touches, des inventions typiquement renoiriennes dans un film de commande (comme cet AMAZING MRS HOLLIDAY avec Deanna Durbin où l’on découvre, révélation stupéfiante, pour la première fois que Renoir a tourné 44 jours sur les 49 du plan de travail initial), évoque merveilleusement les beautés de LA RÈGLE DU JEU, de LA PARTIE DE CAMPAGNE. Bref il parle de la mise en scène, du style souvent génial, innovant du cinéaste.

Il parle aussi des conditions de  tournage souvent ahurissantes qui déterminent des choix artistiques, expliquent le ratage de VIVRE LIBRE, LA FEMME SUR LA PLAGE, de nombreuses séquences de MADAME BOVARY, les incertitudes du CARROSSE D’OR. Les chapitres sur UNE PARTIE DE CAMPAGNE, LA GRANDE ILLUSION, le FLEUVE nous révèlent des faits surprenants. C’est que Pascal Mérigeau n’est pas soumis à une vision auteuriste. Il bouscule la doxa, réfute un très grand nombre d’interprétations, met à mal bien des légendes, des mensonges crées par Renoir et colportées par des thuriféraires aveugles. Non, Renoir ne fut pas un adepte systématique du décor naturel. Il adorait le studio. Les séquences soi-disant improvisées figurent intégralement dans les scénarios, les mouvements d’appareil inventé sur le plateau – dans LE CRIME DE MONSIEUR LANGE – sont décrits dans le premier découpage. On découvre la part prise sans doute par Paul Fejos au montage de LA CHIENNE, l’incapacité de Renoir à s’adapter aux Studios américains et ce, parfois, à bon escient.

Mérigeau ne cache pas la part d’ombre, les zones noires : la manière qu’a Renoir d’éliminer ses collaborateurs, ses co-scénaristes au fur et à mesure des interviews, des versions de ses mémoires (cf le traitement de Carl Einstein pendant TONI), ses prises de position politiques honteuses en 1940, les propos teintés d’antisémitisme, son soutien à Mussolini. Mais il conserve sinon une sympathie (il est difficile d’approuver le traitement de Becker par Renoir, son opportunisme politique, son égoïsme), du moins une empathie chaleureuse. On comprend, sans les excuser, certaines prises de position. « Renoir, c’est le traitre intégral », dit Charles Spaak qui ajoute « mais quoi qu’il fasse, on ne peut pas lui en vouloir ». Au passage il réfute les accusation d’antisémitisme portées contre LA GRANDE ILLUSION (et cite une attaque inouïe et abjecte de Céline) et le soi disant message pacifiste. Il nous donne à voir et à comprendre et, d’une certaine manière, écrit un livre qui regarde l’homme et ses films comme ce dernier regardait, dans ses chefs d’œuvre, ses personnages, un livre qui montre les raisons de chacun et toutes celles du cinéaste même si certaines ne sont pas glorieuses.

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