Tuer la poule aux oeufs d’or avant qu’elle ne ponde

3 avril 2015 par - Divers

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Par Sophie Loubière, administratrice radio

L’Amérique vit depuis quelques temps un âge d’or de la radio. En septembre 2014, une frénésie s’est emparée des auditeurs : ils se sont détournés de Netflix pour écouter sur leur radio, leur ordinateur ou leur téléphone portable une docu-fiction palpitante et addictive, Serial, déclinée sur le mode du feuilleton. Cette émission a été téléchargée plus de 5 millions de fois sur iTunes.

Partout dans le monde, la fiction sonore opère un retour en force : elle est le nouveau terrain de jeu de toute une génération d’auditeurs. Des auditeurs qui aujourd’hui pourraient trouver leur compte au sein des différents programmes de Radio France. Et là est notre inquiétude : dans le rapport de la Cour des Comptes, seules quelques lignes lui sont consacrées. On pointe du doigt un coût de production élevé. Le contraire serait étonnant. A moins de trouver un auteur capable de jouer tous les rôles, de bruiter, enregistrer, mixer, réaliser et composer dans sa cuisine une partition originale de son œuvre, la fiction radio relève du collectif et de cette conjugaison des talents de la même manière que la fiction à la télévision. Dire que cela coûte cher revient à dire que la création est un luxe pour une radio de service publique. Suggérer que les fictions de France Inter puissent être réalisées par France Culture relève également d’une méconnaissance de la spécificité des deux chaînes et de leurs productions. Enfin, écrire que le « genre » pourrait être rénové – on rénove bien la maison ronde – voilà qui nous parle. C’est là qu’est l’avenir de la fiction à Radio France. Dans sa capacité à incarner la radio qu’écouteront nos enfants.

A plusieurs reprises depuis septembre, la SACD a manifesté auprès de Radio France sa volonté de réfléchir, avec les responsables du groupe, aux moyens de développer la fiction sur les différentes chaînes du service public. Nous avons fait des propositions : nouveaux formats, nouvelles thématiques, nouveaux modes de fabrication, initiatives en direction du public de la jeunesse, valorisation du patrimoine sonore fictionnel au travers d’un portail d’écoute qui reste à développer et à rendre accessible depuis les pages accueil de toutes les radios du groupe. Nous avons espéré être entendus. Mais à ce jour, nous sommes inquiets pour nos auteurs.

Radio France avait presque de l’avance dans le domaine de la fiction et bénéficie toujours d’un quasi monopole en terme de production. Mais qu’en sera-t-il demain ? Radio France a les outils, l’expérience, les compétences. Et celles-ci se déclinent au féminin et au masculin, dans un réel souci de parité dans tous les métiers. Ses réalisations sont prestigieuses. De grands noms sont chaque année associés à ses créations de la même façon que de nouveaux talents émergent, et leurs œuvres d’être primées au-delà de nos frontières. De nombreux auteurs et comédiens, pleinement investis et passionnés, ne vivent que par leur travail à la radio. Vouloir procéder à une réduction budgétaire du budget de la fiction pour éviter l’hémorragie des dépenses reviendrait à tuer la poule aux œufs d’or avant qu’elle ne ponde.

Radio France doit dire « oui » à une fiction plurielle, renouvelée, pour tous les publics et dans tous les formats : courts, longs, unitaires, feuilletons. Ne pas mettre dès la rentrée sur les antennes de la fiction multiple et diversifiée, ne pas oser ce foisonnement d’écritures et de ton, c’est ne pas comprendre l’appétit de tous les publics (enfants, ados, adultes) pour les histoires, les émotions. L’auditoire de demain se fabrique aujourd’hui.

Donner l’exemple de l’innovation, faire que le succès soit là avant d’être copié ailleurs  fait partie des missions des radios du service public. Un travail sur l’identité des chaînes et leurs publics permettrait d’identifier clairement le type de projet à développer.

Ainsi que nous l’avons signifié à la direction de Radio France, nous sommes à leurs côtés pour avancer sur ce chantier – bien moins coûteux que celui des travaux. Il ne s’agit pas ici de béton et de verre, mais d’imagination et d’adaptabilité aux nouveaux modes de consommation du medium radio. La fiction doit être en phase avec son temps, avec un auditoire en constante évolution. Elle a sa place sur France Culture et France Inter, mais aussi sur France Bleu, France Musique, Fip, France Info et le Mouv’.

Radio France a la vocation et la capacité d’être un groupe de radios innovantes et de mener à bien sa mission. A quelques jours de Pâques, préserver « la poule » devrait être une évidence.

 

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