Les Padox à la prison de Fresnes

15 juin 2010 par - Arts de la rue

Lundi 17 mai 2010
Après une longue préparation avec la responsable des relations entre le théâtre d’Ivry-Antoine Vitez, Djamela, et l’animateur de la prison de Fresnes, Romain, le directeur de la prison, le juge d’application des peines, le directeur du SPIP, nous voilà enfin à la Maison d’Arrêt de Fresnes. Le projet est double, une semaine dans le quartier des femmes, avec un atelier Padox quotidien, et vendredi, restitution dans le couloir de détention de la prison, et ensuite nous abordons le quartier des hommes, avec des ateliers plus étalés dans le temps, et la réalisation du spectacle « Padox Migrateur » qui sera présenté le 11 juin dans la chapelle de la prison pour les détenus, et le 12 juin au théâtre d’Ivry Antoine Vitez, pour la clôture de saison.
Le premier jour est important, la suite dépendra de ce premier contact.
Le matériel est déchargé dans la cour de la prison, nous installons tout dans la cour de promenade, car nous n’avons pas la possibilité de répéter dans le couloir de détention. Mais pour avoir un lieu plus propice à la concentration, on nous ouvre la « salle rose », une cellule dédiée à l’animation.Les stagiaires arrivent, les personnalités éclatent aussitôt, entre Claudine, exubérante, une croate qui ne parle pas français et reste dans son coin, une jeune Brésilienne, toute heureuse de voir que David, un membre de notre équipe, parle brésilien, une guyanaise, Yuna, dont le corps danse en permanence, Euridice, cachée sous une grande écharpe, Germaine, la plus âgée, très intimidée, …
Présentations, puis découverte de Padox : étonnement, petit recul de certaines, embrassades de Claudine, bien sur, Jeanne et David expliquent le costume, on parle du personnage, de la technique, du projet, et toutes s’habillent en Padox. Puis, en costume, nous traversons le couloir de détention, pour aller dans la cour de promenade. Padox déride les surveillantes, qui croient reconnaître certaines détenues à leur gestuelle, un grand mouvement de sympathie de la part du personnel pénitentiaire qui nous servira pour la suite.
Cette cour de promenade est coupée en deux.Une moitié sert réellement à la promenade, c’est un terrain de basket longé par de l’herbe rase, et au-delà, un mur surmonté de barbelés sans doute électrifiés.Et de l’autre coté, le même terrain mais l’herbe est haute, ce coin ne doit pas servir… On imagine la jachère, un temps d’un côté, un temps de l’autre. Entre les deux terrain, une grille.
Nous commençons les exercices, cela se passe bien, quelques détenues nous observent en souriant à la fenêtre de leur cellule qui donne sur la cour, les surveillantes viennent jeter un œil . Puis les Padox jouent une improvisation dirigée, consistant à cueillir des fleurs, dans la partie herbeuse. Cela devient très beau, nos Padox après une cueillette lente filent offrir les fleurs cueillies aux filles qui tournent dans la cour d’en face.
Elles étaient curieuses, elles sont touchées.
Je demande à l’une d’entre elles, grande, grave, sombre, si elle veut venir et mettre le costume de Padox. Elle me répond « Mon costume est déjà assez lourd à porter ». Mais elle ajoute « Je vous regarde de la fenêtre, et je viendrai voir le spectacle. »
Deux de nos stagiaires n’ont pas pu faire cette sortie, appelées au parloir. C’est un moment bouleversant, l’une ,Euridice, revient en pleurant, et dit que c’est trop d’émotion. Claudine en sort, révoltée, remontée, énervée. Demain en Padox elles entreront dans le jeu.
On se quitte après avoir raconté la proposition de scénario, sur le thème de la page blanche.
On sent de l’enthousiasme, le groupe est prêt à se lancer dans l’aventure d’une création.
Remontée au premier étage, devant la porte de sa cellule, Euridice nous fait un signe et lance une touchant « Merci »

Mardi 18 mai 2010
Le cœur joyeux, gonflés par le premier contact d’hier, nous entrons dans la Maison d’Arrêt des Femmes. Pas de problème  à la barrière, accueil agréable au contrôle. Mais une fois dans l’enceinte de la prison, cela se gâte. La surveillante en chef du couloir de détention n’est pas celle qui avait été si sympathique hier, elle fait sentir tout de suite son autorité, appelle les filles avec beaucoup de retard. Tout le monde n’est pas là, une fille a été libérée, on se réjouit pour elle mais on aurait pu nous prévenir, deux sont malades, et au moment où l’équipe est habillée, la chef revient, et demande à deux de nos stagiaires de filer pour une consultation hors de la prison, donc sans espoir de les revoir avant la fin de l’atelier.  Et ces pauvres filles, désolées, n’étaient même pas au courant, ne savaient pas qui elles allaient voir. Lorsque j’ose dire que c’est un problème d’animer une activité avec des sorties, des parloirs qui cassent le groupe et le travail, la chef me répond sèchement que c’est pour leur santé. Rien à dire !.
L’atelier commence, il en reste 3, alors David, et Corinne, une  comédienne stagiaire de la Compagnie s’habillent en Padox, et complètent le groupe.
Nous avançons la mise en scène, sur le thème de la page blanche, le groupe progresse bien, il y a une forte sensibilité et un sens du jeu évident.
Le thème parle de l’angoisse de la page, de ce papier blanc sur lequel on se projette comme dans un autoportrait, au point que le livre de papier blanc se transforme en miroir, par lequel le regard de Padox communique avec le public. Nous sommes inspirés pour ce thème par des textes de Gérard Lépinois, qui fut à l’origine auteur des scénarios des Padox, et dont Jeanne dira pendant la présentation quelques aphorismes.
Une des filles, Claudine, me dit  : « C’est comme un procès d’assise, toi, toute seule en face de cette foule de regards qui te dévisagent »   .
Elles mettent de la grâce et de la poésie dans le travail.
En accord avec la chef, nous avons l’autorisation d’aller dans la cour de promenade à 3h20, quand toutes les promenades officielles sont terminées. (Dommage, car les autres détenues ne nous verront pas).
Surprise, elle nous enferme dans la cour, et dit qu’elle revient dans 10 minutes, et que si on veut rentrer, qu’on fasse signe au mirador.
15 minutes, 20 minutes,, je fais des signes, je crie pour qu’on nous ouvre. Au bout de 45 minutes, elle vient nous délivrer, en me disant « cela ne sert à rien d’appeler, j’avais des mouvements, ici c’est une prison « .
Rien à dire.
L’atelier se termine après cette longue attente dehors, mais l’ambiance est chaleureuse et complice avec nos trois Padox, nous avons vécu de l’intérieur des brimades permanentes qui sont leur lot quotidien.
Le problème est que nous étions livrés à nous même et sous la dépendance de la chef, Romain l’animateur du SPIP n’était pas avec nous, et impossible d’entrer dans la prison avec nos portables, donc pas de communication possible avec lui.
Dans la cour, les filles ont cueilli des fleurs et les ramènent dans leur cellule.
Les fleurs de Fresnes
La chef a fait semblant de ne pas nous voir partir et n’a pas répondu à nos saluts.

Mercredi 19 mai 2010
À l’atelier, nous retrouvons nos trois fidèles. En nous apprenons qu’Euridice a un parloir à 3 heures, il est 2 heures), donc qu’elle ne viendra pas, que Germaine ne viendra pas, elle a une grosse déprime.
Claudine a convaincu 3 copines de venir, elles sont volontaires… mais la chef nous dit qu’elle ne sont pas inscrites. Et Romain n’est pas avec nous pour faire le lien avec l’administration. Alors ces volontaires restent à se morfondre dans leur cellule, et nous travaillons avec nos 3 Padox.
Avec notre équipe, on passe à 5, et la répétition commence : en deux heures, nous arrivons à monter l’ensemble de la présentation, les filles sont attentives, douées, expressives.
Rendez vous demain ? Eh bien non, car deux d’entre elles ont CAP, Commission d’Application des Peines, c’est naturellement important et obligatoire.
Donc on ne se retrouvera que vendredi, pour une heure de répétition, avant la présentation de notre page blanche.
En sortant, notre petite Brésilienne, Julia, est appelée par la surveillante pour aller transporter des colis.  Elle sort, revient revêtu d’une blouse bleue, et suivie par une gardienne, fait deux ou trois transports, de la cour d’entrée à l’intérieur. Et tout d’un coup, elle ne nous connaît plus, son regard est fixe, grave, comme si une barrière entre nous s’était refermée.
Elle a 34 ans, 3 enfants,   et son fils de 17 ans vient d’avoir un enfant. Grand-mère à 34 ans.
On imagine bien pourquoi elle est là, mule, transport de drogue.  Quand elle sortira d’ici, elle se retrouvera en prison au Brésil. C’est une fille très douée, elle a un sens de la comédie et du jeu. Elle pense qu’elle suivra un atelier-marionnette au Brésil, en prison.
Yuna, la Guyanaise, est là pour les mêmes raisons « pour quelques grammes de cocaïne…) Ironie du sort, elle vient de Cayenne, mais son bagne est à Fresnes.

Jeudi 20 mai 2010
Donc ce matin, le travail avec les femmes est annulé, mais cet après-midi nous commençons l’atelier à la Maison d’Arrêt des hommes.
Entrée pas aussi simple que chez les femmes, nous ne pouvons pas pénétrer avec le véhicule et la remorque dans la cour, on a même du mal à s’arrêter devant l’entrée car des groupes de policiers armés et vêtus de gilets pare-balles partent pour, pensons nous, le procès Colonna.
Il faut donc décharger tous les costumes, le matériel de jeu, passer tout cela sous le portique et le tapis roulant de l’entrée normale, puis avec des chariots, nous véhiculons tout cela dans les couloirs, les très longs couloirs des trois sections.
Le gardien chef est de mauvais poil, il ne veut pas que nous allions directement dans la chapelle, notre lieu de travail, pour installer le matériel, car il n’a pas de gardien pour nous ouvrir, nous devons aller dans la section 1 récupérer les détenus. Romain, qui heureusement est avec nous, va les chercher un à un.
Nous poirotons,au milieu des cris des surveillants du brouhaha général, l’ambiance est tendue, électrique, rien à voir avec le quartier des femmes beaucoup plus calme. Ils arrivent, ils sont enfermés dans des salles d’attente, très serrés. Ils ont l’air renfrognés, ne disent pas bonjour, ne nous regardent même pas.
Enfin, au bout d’une demi-heure, nous partons ensemble vers la Chapelle. Le surveillant qui les accompagne les oblige à marcher en file le long du mur.Ils passent un portique, la canne anglaise d’un des détenus sonne…
Enfin dans la chapelle, au fin fond de la 3e section. Et on commence, discours de Romain, de Djamela, puis nous nous présentons. Et David arrive en Padox, ,  aussitôt c’est la détente, ces mines renfrognées s’ouvrent, ils sourient, s’étonnent, s’intéressent. Le personnage leur plait indiscutablement. David, finement, va s’asseoir auprès de Cédric, une forte tête qui se met à part, et l’entraîne gentiment à regagner le groupe dans les gradins.
Ils se présentent, l’ambiance est détendue, on plaisante, je leur raconte l’ensemble du projet, l’histoire de Padox Migrateur, qui semble les toucher.
Enfin après une pose cigarette (attention, pas de chichons, sinon l’atelier risque de s’arrêter), ils commencent à s’habiller.Et les premiers exercices sont concluants, improvisations individuelles, exercices dirigés au talkie-walkie, ils enlèvent le costume, c’est gagné. À part un, qui nous dit que ce n’est pas son truc, les autres marquent réellement de l’enthousiasme, le fait de jouer sous le masque leur plait et les décontracte. Et Aimé nous confie que Padox lui fait tout oublier, qu’il se sent un autre.
Très vite nous avons appris les prénoms, l’un d’entre eux, Mostepha, me dit que cela forme une famille.
Pendant tout le travail, le surveillant est resté assis en haut des gradins, près du téléphone, et n’a pas jeté le moindre regard sur l’atelier.
Il faut rentrer, on se regroupe dans le couloir de sortie, mais nous sommes bloqués par une immense clameur de chahut, encore de l’attente, enfin on rentre, avec un arrêt devant la première section sud, on se serre chaleureusement la main, Cédric le plus agité, trouve que le couple que nous formons avec Jeanne est « mignon ». On se dit à mardi.
Demain on revoit les femmes, pour présenter le court spectacle répété en 3 séances.
C’est incroyable d’observer la transformation de leurs visages. Dans l’espace pénitentiaire, ils sont gris, fermés sans communication. Dès que l’atelier commence, on les découvre, ils s’ouvrent.

Vendredi 21 mai 2010
Retour à la Maison d’arrêt des femmes pour la dernière séance, la restitution. Tout d’abord, une bonne surprise, Euridice, charmante camerounaise, qui n’avait pas pu suivre le travail, sans arrêt appelée au parloir, ou en consultation, nous rejoint. Alors, la dernière répétition avant la séance publique lui est consacrée. Elle comprend vite le scénario, joue avec intelligence, et là voilà embarquée.
Les techniciens du théâtre d’Ivry sont venus le matin installer les lumières et l’éclairage, un rideau de fond rouge fait un peu oublier le couloir de détention au bout duquel nous jouons.Les détenues arrivent, nombreuses, au moins la moitié sont venues voir les Padox. La représentation se déroule pour le mieux, et à la fin, une rencontre avec le public s’improvise, c’est un moment important pour les 4 détenues qui ont participé à l’atelier, elles disent ce qu’a été le travail, les autres ont réellement apprécié, et le leur disent, les questions sont souvent fortes : par exemple je leur ai demandé d’ écrire « je suis » sur des feuilles blanches et ensuite les spectateurs devaient compléter. Une femme d’origine basque a bien analysé la chose, en disant qu’elles ne sont qu’un numéro d’écrou, qu’elles perdent dans ce lieu leur personnalité, et ce » je suis » l’a beaucoup touchée.
Plusieurs regrettent de ne pas avoir participé à l’atelier, aimeraient devenir Padox, ici ou ailleurs. Beaucoup viennent nous embrasser avant de regagner les étages.
Euridice sortira bientôt de prison, elle est là par erreur, c’est au moins ce qu’elle nous dit, une usurpation d’identité, elle passait ses journées à pleurer, ne comprenant pas ce qui lui arrive, l’atelier lui a fait du bien, elle retournera très vite chez elle, mais elle viendra nous revoir au Théâtre d’Ivry le 12 juin, où nous jouons avec les détenus hommes « Padox Migrateur ».
Jeanne avait préparé une tarte, que nous mangeons après les rangements avec nos Padox de Fresnes, émus de se quitter, elles gardent les livres blancs avec lesquels elles jouaient, et demandent les signatures et un mot de toute l’équipe. C’est troublant de se séparer comme cela. Euridice nous quitte en disant : «, Je retourne dans ma chambre ». Claudine la reprend, « Non, ta cellule, mais au début je disais comme toi ».
À bientôt, Euridice, continue à dire « ma chambre », cette épreuve se termine, pour Yuna aussi, et la charmante Julia, la jeune grand mère de 34 ans, résignée, travailleuse, qui a beaucoup aidé à installer les accessoires, attend son transfert au Brésil. Ce soir, en écrivant ces lignes, je pense à elles dans leur « chambre ».

mardi 25 mai 2010
Les ateliers se poursuivent maintenant à la Maison d’Arrêt des Hommes, mais seulement 2 fois par semaine, le mardi et le jeudi, jusqu’au spectacle le 11 juin dans la prison, et le 12 au théâtre d’Ivry.Après le premier contact la semaine dernière, nous retrouvons une partie de l’équipe, 6 sur 12, dont deux qui n’étaient pas là jeudi dernier. Les autres sont en parloir, Justin a perdu sa carte et le surveillant ne veut pas le laisser sortir.Nous sommes arrivés à 13h30, ce n’est qu’une heure plus tard que nous pouvons quitter la section 1 Nord. Une heure d’attente, pendant un bon moment, on nous annonce que la section est bloquée, tous les mouvements sont interdits… et l’on ne saura jamais pourquoi. Romain part les récupérer un par un , Eric est occupé à dealer dans les couloirs et se ne descend pas.. Le manque de personnel fait qu’il faut attendre qu’un surveillant soit libre pour nous accompagner. Notre groupe se met en marche toujours en longeant le mur en ce qui les concerne, vers la chapelle. Romain nous laisse avec eux et avec un surveillant plus ouvert, qui regarde le travail en souriant parfois.
Dans la chapelle, nous initions rapidement les deux nouveaux, Hervé et Souleymane, et nous commençons la mise en place du spectacle. Ils sont tout d’un coup concentrés, attentifs, curieux, physiquement doués, on utilise les talents de danseur et de percussionniste de Douta, l’histoire les intéresse, et  comme nous n’avons plus que 1h30 de travail, cela passe très vite. Avant de repartir, la sacro-sainte pose cigarette, et je parle dans un coin avec Cédric, que tout le monde considère comme un agité : il est calme, me parle de sa mère, de sa femme, de son bébé qui vient de naître, pour lui l’enjeu est important, montrer le spectacle à sa mère est un objectif majeur, il me parle de la cité dans laquelle il vit à Lyon… Ce n’est plus le même, il me confie qu’il aimerait continuer le théâtre, qu’il se sent un autre homme. Plusieurs me font cette remarque, tout est loin en Padox, la détention, les brimades, mais aussi ce bruit infernal des couloirs, les hurlements des surveillants d’un étage à l’autre, le fracas des portes lorsqu’un détenu est énervé, le mouvement incessant. Là, ils sont concentrés,, sérieux appliqués. C’est de bon augure.
En sortant, par la fenêtre, on aperçoit le mitard. « Le château » disent-ils.
Nous insistons auprès d’eux pour qu’ils programment leurs parloirs en tenant compte de l’atelier. Ils ont eu chaud en Padox, il serait souhaitable qu’ils puissent prendre une douche. Mais elles sont limitées à deux par semaine. J’en ferai la demande à Romain, sans grand espoir. Au moins quelques bouteilles d’eau…

Jeudi 27 mai 2010
L’atelier a maintenant pris son rythme de croisière, 9 détenus sont présents, il en manque 3, un qui est inscrit mais qu’on a jamais vu, et deux pour lesquels nous ne savons pas pourquoi ils ne sont pas là. Et pourtant ce sont deux éléments importants, Mostepha et Cédric. Impossible d’avoir une explication de leur absence. Espérons les pour la prochaine fois, car le travail avance à grande vitesse, nos gars sont complètement plongés dedans, la concentration est extrême, et le moment de repos est un temps d’échange très agréable. Aujourd’hui, on parle des retraites, puisque c’est le jour de mobilisation des syndicats.
Hervé, jusque-là réservé, nous dit qu’il viendra volontiers à un nouveau stage Padox quand il sortira en Octobre. Et tous s’intéressent aux spectacles de la Compagnie, à nos ateliers scolaires. L’équipe est maintenant très efficace, et le spectacle s’annonce bien.
Et puis, chance, le surveillant s’intéresse au travail, le suit avec attention, vient avec nous partager les chouquettes apportées par Jeanne, et dit à Djamela qu’il viendra volontiers voir la représentation à Ivry. L’attitude du surveillant change tout, on a tous oublié la prison pendant 2 heures. À mardi !

Mardi 2 juin 2010
Ce n’est vraiment pas facile de travailler en prison.Nous dépendons de tellement de choses, la bonne ou mauvaise volonté des uns, par exemple la semaine dernière nous avons apporté quelques bouteilles d’eau, il fait tellement chaud dans les Padox, et aujourd’hui, un surveillant à l’entrée des sections nous refuse le passage pour l’eau. Alors que, au portillon d’entrée de la prison, Jeanne a fait passer une boîte de gâteaux secs, après un refus, la surveillante a accepté de les laisser passer.
Et puis il y a ces blocages permanents, incompréhensibles pour nous. Ce qui fait que nos stagiaires se sont trouvés enfermés dans la salle d’attente une bonne demi-heure, avant qu’on puisse aller ensemble dans la chapelle. Pourquoi ? On ne saura jamais.
Et puis, Mostepha manque à l’appel, on nous dit qu’il travaille aux cuisines.
L’atelier commence, et soudain il nous rejoint. Romain a réussi à le sortir d’un lieu où son travail était terminé à 14h, mais la règle est qu’il doit y rester jusqu’à 17h.
Romain, il vit en permanence la mission impossible, aller chercher les gars dans les cellules, essayer que l’effectif soit au complet, ce qui n’a jamais été le cas.
Aujourd’hui il en manque deux, c’est la moyenne.
Et Cédric nous dit que la semaine dernière, le surveillant n’a pas voulu qu’il vienne avec nous.
Alors, attention, il nous dit cela, mais il faut être prudent, nous sommes facilement instrumentalisés. C’est délicat, nous ne devons pas prendre parti. Mais parfois, il y a de quoi râler… On a bien compris que ce n’est pas la bonne méthode.
L’équipe est toujours motivée. Ils ne savent pas encore s’ils pourront tous sortir, nous, nous savons que le juge, Monsieur Bouvier, un juge apprécié par tous nos stagiaires, a donné son accord pour l’équipe entière. Mais cela doit leur être notifié par l’administration.
Demain heureusement il n’y a pas d’atelier. Chance, car c’est un jour de grève des gardiens.
Alors, on se retrouvera jeudi, ils donneront tous les coordonnées des familles à Djamela pour qu’elle les invite a passer la journée avec nous, de 14hau soir, lors de la représentation à Ivry.

Jeudi 3 juin 2010
Merveille, toute l’équipe est là, mais il faudra attendre longtemps avant qu’une surveillante soit désignée pour nous accompagner.Alors, en attendant ; ils sont confinés dans la salle d’attente, et le temps passe. Je les trouve pourtant très calmes au moment où nous pouvons enfin sortir de la division et nous acheminer vers la chapelle, eux toujours en file le long du mur.
Tiens, aujourd’hui, on a pu apporter de l’eau. En arrivant dans la Chapelle, catastrophe, la salle a servi pour la fête des mères, et toutes nos affaires ont été entassées dans la pièce qui est en arrière scène, les costumes sont mélangés, et nous perdons beaucoup de temps à reconstituer le costume de chacun.Avant cela, Claude Charamathieu, le directeur du SPIP, leur explique dans quelles conditions ils pourront sortir le 12 juin. La bonne nouvelle, c’est que tous, sans exception, ont eu leur permission de sortie. C’est fondamental pour le travail de l’équipe et pour l’humeur du jour.
Après tant de temps perdu, une heure, nous démarrons la répétition. Cela se déroule bien, certains sont même très appliqués et s’engagent dans le jeu. C’est la première répétition avec le costume complet, y compris la tête. Les deux premiers tableaux sont réglés, le troisième est encore à travailler.
De plus en plus, nos gars sont chaleureux, expriment leur plaisir, et au moment de se quitter l’un d’entre eux, Ahmed, propose même de venir aider lors du montage de lundi prochain.
Hélas cela ne sera pas possible, on ne peut pas les mettre en contact avec des outils. Dommage, mais cette proposition nous a beaucoup touchés. Plus on avance, plus on est heureux de travailler avec eux, avec ces personnalités très différentes
Lundi prochain, nous installons le décor, les éclairages et le son, et il aura encore deux répétitions avec le matériel avant la représentation dans la prison.

Lundi 7 juin 2010
Journée d’installation du décor, des éclairages et du son. Sans les détenus. Entrer du matériel dans une prison, surtout un matériel aussi hétéroclite, est une aventure. Par chance, la porte-chantier n’est pas encombrée, et nous passons les premiers. Chaque fois, longue attente, pour qu’on vienne nous ouvrir, puis, après le déchargement, un surveillant examine tout le matériel. L’examen commence, très méticuleux, puis il s’accélère, tellement la liste est longue, digne d’un catalogue à la Prévert.
En attendant l’ouverture de la porte pour accéder au camion, nous avons le temps de voir une scène insolite : à la fenêtre d’une cellule, un détenu nourrit des pigeons qui viennent en grand nombre. Il leur jette du pain, de gros morceaux tombent dans la cour, certains pigeons restent sur le bord de la femêtre, attendant la suite en voltigeant, d’autres foncent récupérer les morceaux au sol. Et soudain arrive un gros rat, qui va se servir, prend sa part, sans affolement des pigeons qui ne bougent pas, et il repart en trottinant.
Fin de la scène, le détenu jette une bassine d’eau pour nettoyer le bord de la fenêtre plein de fientes de pigeons, les volatiles disparaissent. Un temps sans rien, puis le rat revient en trottinant, vérifier qu’il ne reste rien. On dirait la réincarnation d’un surveillant qui vient faire une ronde ultime.Les oiseaux se sont envolés.
La Chapelle n’est pas le théâtre idéal, mais avec l’aide de trois techniciens d’Ivry, nous passons la journée à aménager la scène. C’est prêt pour demain.

Mardi 8 juin 2010
La mise en route des répétitions est de plus en plus problématique. Lorsque nous arrivons dans la première division pour récupérer notre équipe, subitement la division est bloquée, et l’on nous demande même de sortir. Une tension règne dans les couloirs.Puis nous voyons nos gars, arriver, ils sont enfermés dans une salle d’attente, on nous éloigne à nouveau, blocage général, et par les grilles du couloir central, nous voyons passer trois surveillants harnachés en Robocop, avec casques, épaulettes et genouillères, gilets pare balle, bouclier, ils traversent la division. Puis un bon moment plus tard, ils repassent, et l’attente se poursuit. On apprend qu’un détenu interné le jour même avait fait une crise violente, s’était jeté contre le mur, blessé, qu’il fallait le maîtriser. Bref, dans ces cas-là, la prison se bloque, les activités sont suspendues, et ce n’est qu’une heure plus tard que nous pouvons démarrer les répétitions. Nous obtenons de surveillants compréhensifs qu’on prolonge un peu l’atelier.
Il nous manque deux personnes, l’un est en commission de révisions des peines, l’autre Mostepha, dans l’agitation générale, n’a pas été récupéré par Romain. Alors, nous devons faire des remplacements, encore une perte de temps.
C’est la première, et avant dernière répétition dans le décor.
Les gars sont motivés comme ils le disent, « à fond dedans », ils admirent la voix de Jeanne «, elle assure ! », ils sont plongés dans la travail avec un grand sérieux.
Djamela a appelé les familles pour les inviter au spectacle à Ivry : hélas, beaucoup n’ont pas de famille à proximité. Certaines feront un long périple pour voir la représentation, 300 kilomètres. La compagne de Cédric a annoncé qu’elle passera l’après midi mais avec son bébé devra partir sans assister au spectacle . Nous ne lui dirons pas, il est très fragile, cela risque de le démobiliser.
Lorsque nous abordons dans la répétition la scène ou les immigrés sans papiers sont arretés par la police, lorsque j’annonce la fouille au corps, d’instinct ils lèvent les bras… Puis Jeanne dit le texte des flics « sale rebeu, retourne chez toi » , « auvergnat, met ta casquette à l’endroit », et autres gentillesses, nos Padox nous demandent de modifier le texte, pensant que cela sera mal perçu dans la Prison.
Aimé emporte le texte de Jeanne, il va le corriger. Nous voilà en pleine auto-censure. Jeanne espérait recueillir des expression vécues par eux, au contraire ils vont édulcorer le vocabulaire.
Dernière répétition jeudi. Pourvu que nous ne subissions pas de tels retards, notre atelier a, depuis le début, été considérablement écourté.

jeudi 10 juin 2010
Nous avions prévu 7 séances de travail de 2 heures. Mais les difficultés inhérentes au lieu carcéral ont pratiquement réduit de moitié le temps de formation.résultat, il nous manque quelques jours pour être fin près, et la présentation dans la Chapelle c’est demain. L’équipe a fait ce qu’elle pouvait, mais le fait de n’avoir eu toute la distribution un seul jour est un handicap sérieux. Alors que sera demain ? Seront-ils au complet ? Nous avons passé notre temps à remplacer l’un ou l’autre, cela crée de la confusion dans les esprits. Et nous n’aurons eu qu’une seule répétition en lumière, avec deux absents. Il va falloir jouer serré.
Les stagiaires ont corrigé le texte de Jeanne concernant l’arrestation des sans papiers par la police. Nous pensions qu’ils allaient l’édulcorer : pas du tout, ils l’ont simplement mis au point, remplaçant par exemple « fouille au corps «  par « palpation ». Et remarque très juste, ils ne veulent pas qu’on dise « rebeu » mais « Padox », pensant que c’est une injure dans la bouche des flics. Bien vu.
Nous souffrons pour eux, car la chaleur dans les Padox les mets en nage, et la douche est rare.
Corinne, Gaëlle et Sarah, des vraies comédiennes, sont venues à la rescousse compléter l’effectif, car 10 Padox est un nombre insuffisant pour jouer le scénario.
Les procédures d’entrée et de sortie des détenus sont  très différentes d’un jour à l’autre. Le surveillant qui est venu nous ouvrir à la fin de la séance, les comptait sans arrêt, a fait l’appel, ne voulait pas que nous marchions ensemble « on pourrait vous confondre ». Ben oui !
A demain. On se serre la main, chaleureusement.

Vendredi 11 juin 2010
Nous avions prévu d’arriver tôt pour l’installation et les dernières consignes. Nos Padox ne sont arrivés qu’à 13h45 alors que le spectacle était annoncé à 14h, mais ils étaient pratiquement tous résolus, bien concentrés, et à part deux d’entre eux qui avaient abusé de la fumette (c’est fou ce que le H est pratiqué en détention), et qui réagissaient avec retard, le spectacle s’est déroulé le mieux possible, et pourtant nous avions deux absents, Robert qui est en permission, et Hervé… qui avait un parloir !!. Alors, replâtrage de dernière minute. Ce sont vraiment des conditions de travail particulièrement éprouvantes. Les détenus Padox ont assuré, notre équipe aussi, et devant une centaine de détenus venus des 3 divisions, le spectacle est passé dans un superbe silence, un court débat a suivi, d’un bon niveau. Nos gars sont heureux, le travail de Jeanne a été particulièrement apprécié, entre autres par un détenu politique basque qui avait fait du doublage et appréciait en connaisseur, un homme cultivé avec qui Jeanne a pu parler de Marie Darrieusecq. Un enregistrement a été fait par un atelier TV, cela passera sur le canal interne à Fresnes, et nous aurons un DVD, qu’on pourra par la suite regarder avec nos Padox.
Les spectateurs sont pressés de retrouver leur cellule, c’est le premier match de la coupe du monde. En rechargeant le camion, nous entendons la clameur des buts.
Démontage, certains nous donnent un coup de main, rangement, chargement du camion à la porte chantier, retour à Ivry, déchargement, une longue journée, en attendant demain, le spectacle à Ivry devant une salle déjà pleine.

Samedi 12 juin 2010
Le jour le plus long, l’apogée de ce travail, a commencé bien mal : les détenus devaient arriver à 8 heures 30, mais une panne de réveil de Romain, l’animateur du SPIP, fait qu’ils ont attendu en détention3 longues heures, au point que l’un d’entre eux, désespéré, voulait retourner dans sa cellule.Enfin les voilà, à 11h15, l’animation du matin sur les techniques théâtrales fut écourtée considérablement.
Les retrouver hors de la prison change considérablement la perception que nous avons de chacun, une atmosphère de détente, l’envie de communiquer à l’extérieur, nos téléphones servent à appeler les familles. Après le déjeuner pris avec toute l’équipe, les familles arrivent, et nous vivons le premier moment d’émotion de la journée : Mostepha, un jeune gars charmant, découvre sa fille née, il y a 3 semaines, et qu’il n’a pas voulu voir en détention.Les épouses, les parents, les enfants envahissent le jardin du théâtre, puis à 16h, c’est la répétition avec un groupe d’Atout Majeur, une association de réinsertion d’Ivry avec laquelle nous avons déjà fait de nombreuses actions Padox dans la ville.. Il faut les mêler dans le spectacle, dans ce nouveau lieu que nos Padox de Fresnes découvrent.
Hélas, l’un d’entre eux est sorti, a abusé de l’alcool, et revient complètement ivre à la répétition. Je suis obligé d’être dur, pour resserrer les rangs, provoquer une prise de conscience de l’enjeu du spectacle du soir. Romain, l’animateur, ma dit qu’il ne peut rien, qu’ils sont en permission non surveillée, et le Directeur du SPIP confirme que nous sommes obligés de leur faire confiance.
Cet électro-choc soude les détenus entre eux, qui décident d’encadrer Kim, dont on découvre qu’il est gravement toxicomane.
Le spectacle arrive. La salle est pleine. Pendant le discours de Leila Cukiermann, la directrice du théâtre, un grand bruit en coulisse, Kim s’est effondré. Outre l’alcool, il a pris une drogue dure. Je suis à la régie, on m’apprend que Robert, qui est en permission depuis deux jours et qui est venu répéter à 16h, n’est pas de retour. Un drogué complètement KO, et un absent, voilà la situation de départ.Mais avec l’aide forte et efficace de notre équipe et de trois régisseuses du théâtre qui nous assistent efficacement en coulisse, les détenus s’organisent, Ahmed prend en main la redistribution des rôles, et le spectacle commence. Oh bien sur, il y a des moments curieux, un Padox titube, mais en coulisse, l’auto organisation fonctionne, Gaëlle, notre amie comédienne venue en renfort,   remplace les manques au pied levé, avec son amie, Sarah et Corinne, autres comédiennes bénévoles,  elles apportent leur savoir faire d’actrice et leur attention aux détenus. Ceux-ci donnent une énergie jamais vue, ils jouent « à fond » selon l’expression du grand Souleymane, un Bambara d’une gentillesse superbe, grand et athlétique.
Tous, même Cédric, le trublion, tiennent leur place, le spectacle engendre une forte émotion dans la salle qui les acclame, non par politesse ou par commisération, mais avec une sincérité tangible. Beaucoup de spectateurs que nous voyons ensuite ont les larmes aux yeux.
La joie éclate en coulisse. On sent le bonheur d’avoir été au bout, la fierté d’être reconnus, pris en considération, valorisé.
On a beaucoup de mal a se quitter, on demandera de les retrouver dès que la vidéo prise hier sera montée pour regarder le résultat ensemble.
Oui, Souleymane, tu as assuré.
Oui, Cédric, je t’écrirai, et surtout, réponds- moi.
Oui, Ahmed, ta gentille femme qui pleure à chaudes larmes peut être fière de toi.
Oui, Aimé, on se retrouvera en Guadeloupe, où avec Jeanne nous animerons un atelier d’écriture et la réalisation d’un spectacle avec des détenus, mais tu seras un homme libre.
Oui, Justin, le Guyennais, géant au bon sourire, tu as été un superbe acteur.
Oui, Désiré, le congolais, tu as bien aidé en coulisse, empêché de jouer Padox par ton asthme.
Oui, Douta, le joueur de tamtam, le Wolof, tu as une belle présence.
Robert, on t’a regretté. Pourvu que tu ne te sois pas laissé entraîner.
Merci Djamela qui a porté cette aventure, qui a appelé les familles, organisé avec le SPIP les détails nombreux, délicats de cet atelier.
Merci à toute notre équipe, très particulièrement à Jeanne qui a été la confidente de nos gaillards en mal d’affection, les a chouchoutés en apportant ses tartes et ses chouquettes, et les a impressionnés en étant leurs voix multiples des Padox.
Merci à Delphine, David et Félicien qui avec patience et attention ont porté le projet, aidés par Corinne, Gaëlle et Sarah, immergées brutalement dans ce milieu tellement inhabituel pour des comédiennes.
Dimanche matin, en rangeant le matériel, toute notre équipe disait son plaisir d’avoir participé à ce moment exceptionnel, émouvant, inoubliable.

Dominique Houdart
Compagnie Dominique HOUDART, Jeanne HEUCLIN

Laisser un commentaire