Pell̩as et M̩lisande РLe Chant des aveugles

16 mai 2011 par - Audiovisuel, Spectacle vivant

Très belle oeuvre que cet émouvant documentaire tourné par Philippe Béziat en 2007 à l’occasion des répétitions de la première production en Russie de « Pelléas et Mélisande ».
Olivier Py, pour la mise en scène, et Marc Minkowski, pour la direction musicale, sont allés monter le chef d’oeuvre de Debussy au Théâtre Stanislavski de Moscou, emportant dans leurs bagages trois de nos tout meilleurs chanteurs français: Jean-Sébastien Bou (Pelléas), Sophie Marin-Degorre (Mélisande), et François Le Roux (Golaud).
Arkel et Geneviève sont interprétés par des chanteurs russes, de même qu’Yniold et tous les rôles secondaires. C’est là que réside tout l’intérêt du film: comment ces chanteurs, ainsi que les musiciens de l’orchestre, réagiront en découvrant de l’intérieur cette musique si particulière?

Dans une scène touchante, l’on découvre Natalia Vladimirskaia (Geneviève) s’appliquant à articuler et à prononcer cette curieuse langue si différente de toutes les autres. Elle sourit gracieusement en prononçant ces syllabes qui ne sont pour elle que des sons, ces mots dont le sens n’est que ce que le traducteur a bien voulu lui en dire. On ne saura jamais vraiment quel effet la découverte de cette langue et de cette oeuvre aura produit sur elle…

Il en est tout autrement de Dmitri Stepanovitch. Jeune colosse à la stature aussi impressionnante que la voix de basse russe, il interprète le rôle d’Arkel. Chaque note qu’il chante met tout mon corps en vibration, y compris dans les nuances piano. La voix profonde et sombre du vieux roi d’Allemonde est là et bien là. Mais, pour interpréter ce vieillard sage et bon, Marc Minkowski lui demande toujours plus d’intériorité dans son expression vocale et musicale. Dmitri Stepanovitch en est désarçonné. Ne s’agit-il pas d’opéra? Certes oui, mais on lui explique qu’à l’inverse d’un Gounod, par exemple, Debussy a composé, avec Pelléas, une sorte d’ « anti-opéra ». A aucun moment l’écriture ne cherche à faire briller le chanteur, à soulever les foules avec des notes aigües ou des effets de voix. Il n’y a, dans la partition, pas un seul « air d’opéra » digne de ce nom. Debussy cherche avant tout à épouser le plus fidèlement possible les rythmes et la musique propres à la langue française, sur un texte en prose, qui plus est. Le feu de la passion s’empare de Pelléas et de Mélisande, la jalousie maladive dévore Golaud, mais le pauvre Dmitri Stepanovitch doit conserver toute sa mesure lorsqu’il s’agit d’exprimer la sagesse d’Arkel. Au plus fort de sa frustration, le chanteur va même jusqu’à déclarer que si Pelléas n’a jamais connu de succès auprès du public (je ne sais pas d’où il tient cette information?), c’est parce qu’on n’a jamais autorisé les interprètes à donner libre cours à leur envie de séduire les auditeurs en mettant davantage d’expression et de sentiment dans leur chant! Puissent Marc Minkowski et Olivier Py le convaincre et lui insuffler l’inspiration nécessaire, car il a vraiment la voix pour chanter ce si beau rôle d’Arkel!

Parmi les témoignages de différents musiciens, celui d’une violoniste de l’orchestre, est particulièrement bouleversant de sensibilité et d’émotion. Elle n’a jamais joué ni entendu de Debussy de toute sa vie. Pourtant, on comprend qu’elle a derrière elle un long parcours de musicienne professionnelle, puisqu’elle exerçait déjà dans les années soixante. Elle explique qu’à l’époque du rideau de fer, elle ne savait rien de ce qui pouvait se passer de l’autre côté. Mais il y avait eu, à Moscou, une exposition autour des peintres impressionnistes français. Avec des étoiles plein les yeux, elle raconte qu’elle y allait tous les jours, que ça reste un de ses plus beaux souvenirs. Et elle ajoute que ce qu’elle ressent, dans la fosse d’orchestre, en découvrant la musique de Debussy, lui fait penser à ça… Je lui laisserai donc le mot de la fin: « Au dernier acte, mon âme s’emplit d’une sensation… non pas de sérénité… mais d’envoûtement. Alors, le silence envahit mon âme, et c’est l’illumination ». Elle s’appelle Nora Reznik. Elle est violoniste du rang à l’orchestre du Théâtre Stanislavski de Moscou. Elle est le rayon de soleil de ce beau film.

Louis Dunoyer

Laisser un commentaire